Laurent Stocker et Judith Godrèche |
Du film d'Emmanuel Mouret, la critique n’a retenu que la comédie pleine de chassés-croisés cocasses, réalisée par un Woody Allen mâtiné de Sacha Guitry. C’est oublier qu’il présente, avant tout, une érotique bien particulière - inspirée du poème éponyme d’Ovide et de son goût pour la liberté amoureuse - qui met les sentiments hors-champ et se préoccupe peu de psychologie. Dans l’économie du désir selon Mouret, il n’y a de place ni pour la jalousie ni pour la dette sentimentale ; sa carte de Tendre est celle d’un pays gouverné par un droit naturel qui n’a jamais, jamais connu de lois…
Si Intouchables montre la philia à l’oeuvre, L’art d’aimer met en scène la tentation de l’agapè. Tentation étayée sur la bonne volonté qui habite la plupart des personnages du film, tentation qui a une valeur autant symbolique que réelle, même si certains font l’amère expérience du désir jamais soluble dans l’altruisme.
En passant du corps érotique au corps social, on pourrait dire que le don est une manière non concurrentielle de s’associer à autrui, à l’exemple de ce que font les bénévoles d’associations caritatives. S’agit-il de récuser la morale libérale classique qui prétend que le souci des autres trouve son origine dans le souci de soi ? Autrement dit, est-ce la recherche du seul bien d’autrui qui suscite le don ? On sait bien que donner est rarement un acte gratuit et que la réciprocité est de règle dans les relations humaines, qui reposent sur l’échange. Tout don appelle un contre-don ; le contrat apparaît comme une nécessité.
La bonne volonté est donc souvent insuffisante pour assurer un échange équilibré.
Il est nécessaire d’admettre que le lien social repose sur des phénomènes de compensation qui ne sont pas, pour autant, des rétributions et peuvent s’incarner dans des vertus : ainsi en va-t-il lorsque l’on exprime de la gratitude en réponse à un bienfait. Et dans l’espace démocratique, c’est l’esprit de solidarité qui est garant d’une bonne réciprocité.
Frédérique Bel et François Cluzet |
La dette a son origine dans une érotique de la pulsion qui cherche à posséder toujours et encore au risque du conflit. Par son érotique du don, le film d’Emmanuel Mouret nous dit qu’éros a aussi ses ruses et qu’il lui arrive de croiser agapè. Michel Erman - 20/12/11
Michel Erman est universitaire et écrivain. Il est notamment l’auteur de La Cruauté. Essai sur la passion du mal (PUF, Paris, 2009) et Le Bottin des lieux proustiens (La Table ronde, Paris, 2011). Il publie le blog Rhétoriques 2012 sur le site Rue89.