Jean-Pierre Péroncel-Hugoz |
Grand reporter, correspondant en Algérie puis en Egypte, Jean-Pierre Péroncel-Hugoz fit profiter les lecteurs du Monde, trente-cinq ans durant, de son tropisme oriental et de sa fine connaissance de l’islam. A ce titre il fut l’un des tout premiers à repérer le réveil de l’intégrisme, minutieusement décrit dans Le radeau de Mahomet, paru en 1983. L’ouvrage valut alors à son auteur les foudres des militants de l’islamiquement correct, dont il dénonçait l’excès de révérence et les omissions volontaires à l’égard de la radicalité montante. Deux décennies plus tard, en 2004, la très exigeante revue Cités, publiée par les Presses universitaires de France, dédiait à la question de l’islam en France un formidable hors-série auquel contribuèrent notamment Malek Chebel, Maxime Rodinson, Rachid Kaci, Dominique Schnapper, Gilles Kepel, Max Gallo, Alain-Gérard Slama, Michèle Tribalat, Alexandre Adler, Elisabeth Badinter et Leila Babes, parmi beaucoup d’autres. A Péroncel-Hugoz, la revue consacra un long entretien sous le titre : "Est-il encore temps de combattre l’islamiquement correct ?" Ce sont les principaux passages de ce texte que nous vous proposons de découvrir ici après un bref extrait du Radeau prémonitoire, qu'il faut lire, ainsi que l’intégralité de la revue Cités, aujourd’hui rééditée.
Théodore Géricault - Le radeau de La Méduse (1818-1819) |
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Le radeau de Mahomet
Présentation (1983)
Dénoncer les menaces que fait planer l'extrémisme islamiste sur de nombreux pays - sur la France ? - valait la peine d'oser malmener au passage l'islam proprement dit.
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"Est-il encore temps de dénoncer l'islamiquement correct ?"
Entretien à la revue Cités (2004)
Pourquoi les médias reprennent-ils cette accusation d’islamophobie contre les Français et la brandissent-ils comme réelle, appelant à un devoir de vigilance envers le racisme ?
Les médias, et les classes intellectuelles en général, professeurs, prêtres, politiciens, etc. vivent dans la terreur d’être traités de racistes. Cette hantise les paralyse et leur interdit de formuler la moindre réserve sur l’islam, sur l’islamisme, les musulmans, les Arabes et jusque sur le sujet de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. On accuse d’islamophobie quiconque ose poser un regard critique sur cette religion, alors même qu’on peut librement s’en prendre au pape et aux papistes. C’est à se taper la tête contre les murs ! Une confusion est savamment entretenue entre les différents concepts de racisme, xénophobie, discrimination, islamophobie, pour obliger le Français à aimer quiconque est différent de lui, ce qui est absurde puisque l’amour, l’affection ne se décrètent pas. Et surtout, pour aimer les autres, il faut d’abord s’aimer soi-même. Or, les Français, à force d’entendre tous les matins, à la radio qu’ils sont de sales gens, ont fini par ne plus s’aimer, par mépriser leur passé, leur culture, le rôle immense qu’ils ont joué et, sans le savoir, continuent à jouer dans la marche du monde par leurs idées, leurs inventions, leur diplomatie, leur littérature, etc. Vous verrez qu’un de ces jours on va nous pondre une loi rendant obligatoire la xénophilie, ce qui sera aussi grotesque que de vouloir contraindre les gens à aimer le chocolat ou le chou-fleur. Il serait à craindre alors que, par réaction, naisse un véritable racisme français, nouveau, inédit. (...)
La tolérance des Français semble toutefois s’émousser singulièrement sur la question du voile. De quoi est-ce le signe ?
Depuis un ou deux générations, les Français se sont habitués à identifier la femme libérée avec les images de créatures nues qui occupent leurs murs ou leur presse, sous forme de publicités hyper-érotisées. Du coup, la présence de dames ou demoiselles voilées les désarçonne, et ils s’interrogent : n’a-t-on pas fait le bonheur des femmes en leur permettant de se dénuder ? Je suis islamophobe, paraît-il, mais dans Le Radeau de Mahomet, j’ai tenu à mentionner à quel point le voile pouvait embellir ou ennoblir les femmes et créer une attirance pour elles que les Orientales vêtues à l’occidentale perdent souvent, étant donné ce que sont leurs corps, leur démarches, etc. Il en va de même des Japonaises ou des Hindoues. Que dire d’une Hindoue sans son sari ? Pour ce qui est des musulmanes, je parle du voile traditionnel, et non pas du voile utilisé comme ostentation, provocation, test de notre patience de Français laïques à tolérer l’intolérable, à savoir ces empiétements chaque jour grandissants que sont ces comportements contraires à nos lois et coutumes.
Les médias, et les classes intellectuelles en général, professeurs, prêtres, politiciens, etc. vivent dans la terreur d’être traités de racistes. Cette hantise les paralyse et leur interdit de formuler la moindre réserve sur l’islam, sur l’islamisme, les musulmans, les Arabes et jusque sur le sujet de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. On accuse d’islamophobie quiconque ose poser un regard critique sur cette religion, alors même qu’on peut librement s’en prendre au pape et aux papistes. C’est à se taper la tête contre les murs ! Une confusion est savamment entretenue entre les différents concepts de racisme, xénophobie, discrimination, islamophobie, pour obliger le Français à aimer quiconque est différent de lui, ce qui est absurde puisque l’amour, l’affection ne se décrètent pas. Et surtout, pour aimer les autres, il faut d’abord s’aimer soi-même. Or, les Français, à force d’entendre tous les matins, à la radio qu’ils sont de sales gens, ont fini par ne plus s’aimer, par mépriser leur passé, leur culture, le rôle immense qu’ils ont joué et, sans le savoir, continuent à jouer dans la marche du monde par leurs idées, leurs inventions, leur diplomatie, leur littérature, etc. Vous verrez qu’un de ces jours on va nous pondre une loi rendant obligatoire la xénophilie, ce qui sera aussi grotesque que de vouloir contraindre les gens à aimer le chocolat ou le chou-fleur. Il serait à craindre alors que, par réaction, naisse un véritable racisme français, nouveau, inédit. (...)
La tolérance des Français semble toutefois s’émousser singulièrement sur la question du voile. De quoi est-ce le signe ?
Depuis un ou deux générations, les Français se sont habitués à identifier la femme libérée avec les images de créatures nues qui occupent leurs murs ou leur presse, sous forme de publicités hyper-érotisées. Du coup, la présence de dames ou demoiselles voilées les désarçonne, et ils s’interrogent : n’a-t-on pas fait le bonheur des femmes en leur permettant de se dénuder ? Je suis islamophobe, paraît-il, mais dans Le Radeau de Mahomet, j’ai tenu à mentionner à quel point le voile pouvait embellir ou ennoblir les femmes et créer une attirance pour elles que les Orientales vêtues à l’occidentale perdent souvent, étant donné ce que sont leurs corps, leur démarches, etc. Il en va de même des Japonaises ou des Hindoues. Que dire d’une Hindoue sans son sari ? Pour ce qui est des musulmanes, je parle du voile traditionnel, et non pas du voile utilisé comme ostentation, provocation, test de notre patience de Français laïques à tolérer l’intolérable, à savoir ces empiétements chaque jour grandissants que sont ces comportements contraires à nos lois et coutumes.
Le catholicisme dans ses formes les plus anciennes contient un certain nombre de prescriptions aujourd’hui caduques. Ne peut-on imaginer l’équivalent d’un Vatican II pour l’islam ?
On ne le voit pas venir. L’islam et les musulmans, comme tout ce qui est humain, sont certes capables d’évoluer mais pourquoi cela irait-il dans le sens d’une occidentalisation ? Alors là, pour une fois, quelle superbe de notre part ! En parallèle avec le grand autodénigrement que pratiquent les Français, ils font preuve d’un complexe de supériorité déconcertant : la France, une chance pour l’islam ? Je ne crois pas qu’on puisse inventer une religion sur mesure, un islam à l’eau de rose, plaisant à Mimi Pinson. Cette civilisation de près de mille cinq cents ans, de plus d'un milliard d’hommes, sûre et fière d’elle, comment la changerions-nous à nous seuls et selon nos idées ? C’est impensable, irréalisable : Atatürk, les chahs d’Afghanistan et les Pahlavi, qui travaillaient pourtant de l’intérieur, s’y sont cassé les dents.
La grande erreur de nos peu courageux politiques, type Chevènement ou Sarkozy, qui pensent surtout à la prochaine échéance électorale, a été de ne pas imposer des engagements clairs sur ces divers points aux associations musulmanes et de reconnaître l’islam sans contrepartie. Du coup, nous allons vers des drames quotidiens, car les musulmans se croient sans doute autorisés, maintenant, à vivre chez nous exactement comme chez eux ; les heurts vont donc se multiplier, je le crains, entre eux et nous. Sauf si un homme d’Etat d’envergure, un nouveau de Gaulle, se lève et impose aux mahométans de nous respecter - ou de retourner dans leur pays d’origine pour ceux qui le refuseraient. Et si ce sont les musulmans qui l’emportent, nos descendants seront des dhimmis, c’est-à-dire des citoyens minuto jure, rasant les murs, comme les Coptes d’Egypte ou les chaldéens d’Irak - ou comme les Juifs et chrétiens de la fameuse Andalousie médiévale, « terre idéale de métissage », fabriquée au XXe siècle par la propagande islamomane, mais belle civilisation, il est vrai, car les grandes cultures peuvent très bien prospérer sur inégalités et injustices.
A propos d’Andalousie, il y a aussi de quoi être exaspéré par cette élucubration sortie sans doute au XIXe siècle du cerveau masochiste des romantiques et reprise à notre époque, élucubration selon laquelle la sagesse grecque nous aurait été transmise par l’Islam !
Certains prédicateurs islamiques instrumentalisent la notion de droits de l’homme ? S’il faut mettre en évidence leur pratique du double discours, est –il cependant inconcevable qu’un musulman soit accessible à des notions universelles comme les droits de l’homme ?
financières : des myriades d’associations musulmanes, la plupart financées par les deniers publics, travaillent sous notre nez contre la francisation des Kabyles, Arabes, Kurdes et autres Comoriens.
Faut-il imputer ce rejet de la France à un traumatisme lié au passé
colonial ?
Vous refusez de distinguer entre islam et islamisme ?
Bien sûr, puisque les musulmans entre eux, sauf exception encore une fois, ne font pas cette distinction. Je ne suis pas plus royaliste que le roi. L’islamisme dont j’ai observé vers 1970-1980 les prémices et les premiers développements en Egypte, en Arabie Saoudite, au Soudan, en Perse, au Pakistan, au Sénégal, etc., est la forme conquérante, dynamique de l’islam contemporain. J’ai noté partout chez les musulmans la conviction qu’Allah les a dotés à dessein de la foi, de la force démographique et du pétrole. La volonté d’expansion est en quelque sorte naturelle à l’islam, qui a toujours voulu prendre Alexandrie, Byzance, Athènes, Rome, Vienne devant les murs de laquelle il a campé à deux reprises et pour la dernière fois en 1683. Le Coran répète aux fidèles de Mahomet qu’ils forment « la meilleure des communautés ». Ainsi croient-ils avoir droit un jour à la maîtrise du monde, pour le bonheur et le salut de celui-ci. Le musulman n’existe pas comme personne, mais seulement comme membre de sa communauté ; hors d’elle il est perdu, comme le poisson éloigné de son banc.
La notion de personne, qui caractérise l’Occident chrétien, n’est-elle pas à même de transformer les musulmans qui vivent en minorité ici ?
Le musulman type ne peut-être à l’aise que dans une société où l’islam est majoritaire, où en tout cas les règles de la vie musulmane sont respectées, où le temps est rythmé par les prières ou le jeûne, où la viande est halal et les femmes voilées. C’est toute la différence avec les catholiques, les Juifs, les bouddhistes ou les shintoïstes qui, nolens volens, s’accommodent de vivre dans d’autres sociétés que la leur. En revanche, il est vrai que, partout où ils la rencontrent, les musulmans s’adaptent à la modernité technique américaine ou européenne, tout en conservant leur mentalité islamique intacte. C’est une de leurs forces. On le voit ici dans nos banlieues où les mahométans sont habités par une intime conviction de leur supériorité sur les Gaulois et autres gaouri et mange-cochon. C’est peut-être une des raisons de la fascination d’une partie de l’Occident pour un islam qui, lui, ne propose ni repentance, ni remords, ni doute.
La notion chrétienne de personne, sublime en soi, mais qui s’est pervertie ici en individualisme forcené, avec dislocation des liens familiaux et des solidarités sociales, est peu à même de séduire le musulman, dont le système a au moins le mérite de maintenir une très forte solidarité communautaire, par le canal de la religion. C’est ce qui explique d’ailleurs que quelle que soit la violence de leurs dissensions intestines, il suffit qu’on les agresse de l’extérieur pour que les « vrais croyants », comme ils se définissent entre eux, forment aussitôt le « carré », allant s’il le faut jusqu’à couvrir le crime d’un frère en religion. Jamais un musulman ne critique l’islam, car il devient alors un traître : ainsi le notable égyptien Farag Fodda, qui avait osé mentionner publiquement le traitement souvent discriminatoire réservé aux chrétiens autochtones, a-t-il été immédiatement assassiné. Il y a omerta intermusulmane sur les travers de l’islam. On est d’ailleurs incomplet quand on parle de la dhimmitude réservée aux gens du Livre, chrétiens, israélites ou zoroastriens, qui sont traités en citoyen de seconde zone ; car pour tous ceux qui adhèrent à d’autres religions, ou qui n’en veulent pas, aux athées, l’alternative est en principe entre la conversion et la mort.
Prenez le cas de l’Inde du XXe siècle et des violences antimusulmanes des hindouistes qu’on a même accusés de pratiquer « un fascisme safran ». Lisez L’Inde de l’Islam de Louis Frédéric et vous comprendrez les drames actuels à la lumière de l’incroyable cruauté, sur fond encore une fois de grandiose culture, de la conquête islamique d’un pays, « païen » selon les normes laissées par Mahomet. Nous avons la chance, en France, de figurer parmi les gens du Livre que le dogme coranique oblige à « tolérer ».
Toute modernité politique, c’est-à-dire séparation de la religion et de l’Etat, séparation entre le public et le privé, neutralité de l’adresse de la loi, est-elle impossible pour l’islam ?
En islam tout est lié dans la même gerbe. S’il la délie, et on n’en voit d’ailleurs pas les prémices, ne risque-t-il pas de perdre son âme ? Pour ma part, souffrant de la déchristianisation, puis-je souhaiter une désislamisation aux musulmans ? Encore que cela pourrait sans doute régler chez nous un certain nombre de problèmes présents et à venir.
Il semble que pour vous les valeurs laïques ne soient pas de taille à résister. Croyez-vous aux guerres de religions comme unique horizon politique ?
N’y est-on pas déjà, dans ce schéma guerrier ? De Sarcelles aux Philippines, via le Caucase, il y a une ligne de feu où l’islam, partout, cherche à s’imposer. On peut voir aussi cela comme une compétition entre les religions, les nations, les systèmes, avec des formes militaires ouvertes ici et là, quand il ne s’agit pas d’un « djihad de proximité » à Pau ou à Roubaix. Il n’y a pas besoin d’émirs ou de califes clandestins pour organiser cette « conquête » qui se fait spontanément, sans chef d’orchestre. C’est une pulsion humaine, qui appartient sans doute au mystère du monde, comme jadis les Portugais soumettant l’océan Indien, Colomb franchissant l’Atlantique, Caillé ou Brazza pénétrant au coeur de l’Afrique. Tout les civilisations ont des cycles de colonisation et de décolonisation, d’avancée et de recul. A moins d’un colossal revirement politique, avant un siècle l’Europe occidentale devrait être à dominante musulmane, avec des minorités qui souffriront. (..)
Tout cela, à moins d’un miracle, d’un sursaut des peuples ou d’un sauveur providentiel, paraît bien révolu. Les civilisations sont mortelles, mais elles ne veulent jamais croire à leur propre mort.
Votre livre, Le radeau de Mahomet, garde donc toute son actualité. Pouvez-vous revenir sur les réactions violentes qu’il suscita lors de sa parution en 1983 et alors qu’aucun livre n’avait encore levé le lièvre islamiste ?
J’eus d’abord le chagrin de recevoir des lettres horribles d’amis musulmans, y compris de personnes vivant tout à fait à l’occidentale, qui se sont fâchés avec moi : j’avais omis de prendre en compte ce qui est à mes yeux la plus terrible sourate du Coran où Allah s’adressant aux musulmans par la voix de l’archange Gabriel et la mémoire de Mahomet ordonne : « Ne prenez pas pour amis des Juifs ou des
chrétiens ! » J’ai appris là que l’« être croyant inférieur » que je suis aux yeux des musulmans n’a pas le droit de poser un regard critique sur l’islam, fût-il assorti, ce qui est mon cas, d’une bonne part d’admiration (voir le chapitre « Les plumes de dessous » de mon Radeau ).
J’eus en revanche le soutien d’une partie de la rédaction du Monde, notamment André Laurens, Michel Tatu et surtout André Fontaine, lequel intervint en première page pour me soutenir ; mais une autre partie de l’équipe dirigeante m’attaqua comme islamophobe (déjà !) et obtint finalement que je sois écarté de la couverture du Proche-Orient. Sans que j’aie vraiment résisté. Car au fond je ne voulais surtout pas devenir « islamologue » et ne traiter toujours que du même sujet. Je voulais rester pleinement journaliste et voir le reste de la planète, ce que j’ai fait. Après Le Radeau de Mahomet, j’écrivis tout de même encore deux ou trois livres pour défendre ce que je croyais être des causes progressistes, face à l’islamisme, par exemple le sort des chrétiens d’Orient ou encore l’assassinat du poète pied-noir islamophile et algérophile Jean Sénac, éliminé par des islamistes proches du régime algérien.
Il y eut aussi contre moi l’offensive des « Turcs de Profession », complaisants par intérêt ou convertis par fascination pour le soufisme, mystique musulmane persécutée pourtant encore de nos jours sur ses terres d’origine : ils envoyèrent des lettres assassines au Monde, comme par exemple l’éditeur Chodkiewicz, qui m’accusa de pousser les musulmans vers l’alcoolisme parce que j’avais rapporté que Mahomet buvait du jus de palme fermenté. Ou bien le Père blanc Lelong, islamomane catholique et qui passe son temps à écrire aux journaux. A la longue, qu’on le veuille ou non, ces pratiques minables nuisent, sapant la nécessaire confiance entre un journaliste et son journal. Pis que tout, les faits - hélas ! - me donnèrent raison, et ceux qui m’avaient contré transformèrent leur confusion envers eux-mêmes en aversion à mon endroit, réaction très courante.
Vingt après, je regarde ces comportements avec une certaine ironie : mes confrères, et d’une manière générale les intellos parisiens, se sont trompés sur l’islamisme, comme eux ou leurs pareils s’étaient déjà trompés sur Staline, Mao, Castro, Soekarno, Nkurmah, Ben Bella, Pol Pot, etc. S’il y a bien une repentance intellectuelle à prononcer, elle est là ! Mentionnons quand même que l’actuel patron du Monde, Jean-Marie Colombani, le 12 septembre [2001], m’a fait demander de me remettre immédiatement sur les affaires islamiques et de partir illico pour la péninsule Arabique. J’ai bouclé ma valise et puis, dans un sursaut de fierté et d’aquoibonisme, je lui ai écrit un mot narquois sur le ton : « C’est quand il en était encore temps qu’il fallait me laisser combattre dans nos colonnes l’islamiquement correct ! »
Le moment le plus curieux de l’épisode Radeau, ce fut lorsque Le Monde reçut une condamnation à mort contre moi, prononcée par « un tribunal islamique » : le ministère de l’Intérieur prit l’affaire au sérieux, et pendant des mois je vécus sous la garde de policiers. Je dus signer certaines articles sous pseudonyme, et jusqu’à aujourd’hui mon nom ne doit figurer ni sur ma porte ni sur ma boîte aux lettres.
Propos recueillis par Sylvie Taussig
Article paru en mars 2004 dans la revue Cités, hors série "L’islam en France" (Réédition Puf 2008, collection Quadrige, 768 pages) : ouvrage publié sous la direction de Yves Charles Zarka, professeur à l'Université de Paris-Descartes, avec Sylvie Taussig, écrivain et traductrice, et Cynthia Fleury, auteur et professeur à l'American University of Paris.